La pensée du jour
La télévision a une sorte de monopole de fait sur la formation des cerveaux d’une partie très importante de la population.
Pierre Bourdieu
L’humeur du jour (première partie – Histoires Vraies)
J’étais en train de rédiger un billet sur une émission à la fois hilarante et anxiogène, « Hondelatte raconte » – 13h15-14h00 sur Radio Lagardère.
Une émission qui est aux histoires vraies de Pierre Bellemare ce que Détective est à Grands Reportages, excusez du peu.
Hondelatte y interprète, car il joue tous les rôles, des faits divers plus ou moins récents.
Ça, c’est pour la partie comique : il dispose d’un accent assez mal défini et d’une palette d’expression limitée pour personnifier les méchants, les gentils, les hommes, les femmes, les enfants… mention particulière pour les accents étrangers, les paysans et les coupables qui ont tous le même phrasé : bourru.
C’est plein d’effets spéciaux aussi : on entend, quand mentionné dans le récit, des sonneries du téléphone, de la musique, mais surtout…
il y a l’écriture
Car chez Hondelatte raconte, on n’est pas assassiné, non… on est « ass ssa ssi né, mas-sa-cré, de 26, oui 26 coups de couteau ».
Tous les récits sont à l’avenant – je synthétise – « l’odeur était pestilentielle au point que les enquêteurs eurent envie de vomir, oui… de vomir car il fallait avoir le cœur accroché pour supporter la violence de la scène : 4 cadavres et une blessée grave. « ho, Gérard, elle n’a pas été là la fêteu la petiteu ». On imagine son angoisse, sa peur, ses mots pour attendrir son bourreau « noon, pitié » »
Le tout entrecoupé de petite musique lancinante, et de résumé après chaque coupure « ce vendredi glacé de 1995, la haine a frappé la famille tranquille. 4 personnes égorgées. Une seule survivante à la tuerie mais elle a été violée. Puis poignardée.» pour que ça imprègne bien l’auditeur entre deux pubs pour des voitures ou une assurance.
Mettre en scène des faits divers… que dire…
L’humeur du jour (seconde partie – Histoire Fausse)
J’allais donc en faire un billet quand soudain Lorànt Deutsch est apparu dans mon fil info. Oui. Le singe savant survitaminé aux partis pris discutables qui sous prétexte de vulgarisation réécrit l’histoire de manière à faire vivre le roman national tel qu’il l’imagine. Dès la rentrée, le « service public » (vos impôts, mes impôts) va proposer « suivez le guide », animée par Stéphane Bern, le Castelot du pauvre, et l’imposteur Deutsch.
Twitter s’anime aussitôt, d’autant que Lorànt le Réac’ y a sévi sans gloire sous un anonymat vite éventé (cliquez, c’est édifiant).
Bern défend ce choix “Lorant est une encyclopédie”. Non, Stéphane, non, on dit “Désencyclopédie” dans son cas.
Un père d’Algérie, peau noire et non pied noir, une mère née dans le Nord printemps 45, seule poussine rousse d’une couvée très brune qui laissa deviner une avancée joyeuse de soldats alliés, bref, bien que née en France, je me rendis assez vite compte que « nos ancêtres les gaulois », ça allait m’être problématique.
Pourtant, à l’école, j’eus un petit faible pour le bon Saint Louis qui rendait la justice sous son chêne – quelle tristesse d’aller mourir de la peste à Tunis en 1270 (tu vois Stéphane, moi aussi j’ai de la mémoire, ça ne fait pas de moi une historienne) et je fus abreuvée, comme tous mes petits camarades nourris au Lagarde et Michard entre 1948 et 1992, de tous les mythes glorieux censés fonder le socle d’un passé commun.
Toutes les images d’Épinal qui forgent une identité nationale à coup de repères au mieux réducteurs, au pire « adaptés ». Clovis et son vase, Vercingétorix et sa défaite digne, Charles Martel le valeureux, Charlemagne et sa barbe fleurie, Louis XI et les demoiselles, Henri IV et sa poule au pot, Louis XIV si grand, Louis XVI si veule, Napoléon ambitieux et moderne… assez curieusement, rien, jamais rien sur la commune ou sur Adolphe Thiers le pourri; on passait directement à l’attentat de Sarajevo plongeant l’Europe dans la première guerre mondiale.
Heureusement, curiosité aidant, je découvris une autre histoire de France, moins paillettes mais plus vraie, plus essentielle, à mes yeux plus rassembleuse. Notamment via les ouvrages de Suzanne Citron.
Les émissions de Stéphane Bern sont de la vulgarisation divertissante, ouvertement et résolument tournées vers les secrets d’alcôve (un de ses intervenant, Michel de Decker, a littéralement la bave aux lèvres dès qu’il parle cul, fesses et moultes sauteries) et autres petits mystères distillés en confidences. Elles ont le mérite de la légèreté assumée et peuvent donner envie d’aller plus loin.
Mais l’abattage « sympathique » de Lorànt Deutch est une escroquerie intellectuelle dont le service public aurait dû savoir se passer.
Car mettre en scène notre Histoire, non merci.
Le cadeau du jour
Suzanne Citron, vue par Cabu.
Tu m’épateras toujours par toutes tes connaissances ! j’aime bien l’allusion de la poussine rousse….!quant à Stéphane Bern il m’énerve de plus en plus avec son air niais et sa façon de raconter…et chacun y va de son savoir, au fait comment peuvent ils être aussi certains de l’histoire de leurs personnages ?????