La pensée du jour
Mendiants ou rois, tous acteurs de la même grande comédie.
Anne-Marie Schwarzenbach
L’humeur du jour
La dernière fois que j’ai ouvert mon portefeuille Nat et Nin pour un mendiant, c’était il y a une quinzaine de jours, sur le boulevard Saint Germain.
Je rentrais du Trocadéro.
Je ralliais la Rive Gauche, protégée sous un chapeau en laine made in Italy de chez « à la recherche de Jane », rue Dauphine, assorti à un slim Cop Copine, un beau pull en laine bien chaud sous un manteau Comptoir des Cotonniers Hiver 2012.
Le stéréotype de la fille qui peut se permettre une dose de futilité.
Il était là, tout jeunot, enfin, mon âge. Avec un berger allemand malingre mais bien couvert, bandana joyeux autour du cou. Souriant, sympathique, il abordait les passants avec un beau sourire et un brin de moquerie « allez, fais pas ta méchante ». Charisme, presque joie de vivre. Ça ne s’explique pas… Je lui ai dit que je revenais et suis allée faire de la monnaie pour lui donner 5 euros. Ni trop, ni pas assez, d’une certaine façon : l’équivalent de ce que j’allais dépenser pour mon déjeuner (les carottes, ça ne coûte vraiment pas cher, même dans le 6ème), la sensation de partager le même repas, même si le mien s’enrichit au dîner…
Le soir même, dépouillée du midi de mon dernier billet et courant après mon train, je me retrouve au croisement de la rue de Rivoli, à côté d’un quinqua traînant une poubelle à roulettes. On échange deux trois mots sur le flot ininterrompu des voitures, et profitant du lien bref mais réel créé par le hasard de la circulation, il me demande une pièce.
Je n’ai plus rien. Sauf un peu de gêne d’avoir les poches vides pour lui. Je lui dis que je suis désolée mais avec dignité il m’interrompt en me confiant sa honte d’en être réduit à mendier sa vie, essayant de cacher qu’il traîne le peu de ses possessions dans ce qui nous sert à nous débarrasser de nos ordures et surplus.
Travailler à Paris, c’est en permanence se frotter aux clodos du métro, qui désormais installent des lits d’infortune au chaud dans le ventre de la capitale;
Aux SDF des portes cochères, réveillés par le froid et les premières livraisons;
Aux rebuts d’un système économique « tout profit », réchauffés par le souffle odorant des grilles du métro Place Iéna;
A ceux qui ont sombré, pour cause d’accident de la vie, dans l’alcool de l’oubli, la pauvreté, la misère…
Ils sont un défi à l’indifférence du travailleur pressé, aveugle volontaire à cette plaie qu’il craint de contracter par le biais d’un regard ou d’un sourire…
On peut se blinder, se penser hermétique, les éviter du regard.
A moins d’être aveugle du cœur, nul ne peut ignorer cette misère qui s’installe et s’organise jusqu’à fixer le montant de sa quête à 30 centimes, somme dérisoire sous les lumières de Noël.
Cela fait si mal au cœur, ils sont de plus en plus nombreux et les accidents de la vie arrivent si vite. J’essaye souvent d’imaginer leur histoire, penser à ce qui a pu le réduire à cet état.
Ils nous font aussi peur, c’est pour cela que nous détournons le regard…
Je ne peux m’empêcher de penser, qu’avec la meilleure volonté, nous pouvons les aider si peu. Et j’ai une pensée chaque soir, en me couchant dans mon lit bien chaud à tous ceux qui sont dehors…
Il serait vraiment temps que le monde change
si nous étions plus nombreux à ne pas oublier qu’ils ont eu des vies, des enfances, des amours, des espoirs… mais pas toujours la force de s’adapter à une société où sans paire de couilles géantes (ou ascendance favorisée) il est difficile de vivre selon des normes non normalisées.
J’ai entendu que la majorité des gens ėtait à 9 repas de la catastrophe. Ce matin au réveil,que beaucoup de monde avait dumal à payer ses impôts et allait au Tresor pour un echelonnement.
Une ėpoque formidable comme tu dis.
Arg je me rends comte que je n’ai pas explicitement dit ce que je voulais dire. Que cela peut arriver très vite pour chacun de nous.
C’est vrai, c’est la même chose en Espagne…
Rosa, est-ce que le mouvement des Indignés n’a pas eu un effet sur plus de solidarité? car de ce qu on lit ici, les espagnols se sont montrés plus soudés,que « nous »
Bonjour Pooky! Selon mon opinion, la solidarité espagnole est surtout entre des parents. Si tu n’as pas de famille c’est un problème.
c’est maigre en effet, même si c’est un « début »!
j’avais bien compris
il suffit de peu, un accident de la vie, un poil de solitude, une maladie,
et hop, tu descends
Pooky, quel magnifique billet ! Merci
merci
peux tu me communiquer ton mail sur wondertso@hotmail.fr
Ces personnes qui n’ont plus rien, même pas un toit, sont le symptôme de la sécheresse de cœur du monde ou nous vivons. Elles sont des victimes, au sens strict du terme. Peut-être ont-elles fait de mauvais choix, et alors qui n’en fait pas? Peut-être n’ont-elles pas su réagir à un moment clé de leur vie, ce qui arrive à beaucoup de monde, et là, la différence vient du fait qu’on n’est bien entouré ou pas. Certaines personnes n’ont pas les clés pour passer haut la main tous les jeux subtils de sélection imposés par notre société et enfin il y a ceux broyés par la machine économique. Vu le nombre de ces dernières, il s’agit clairement d’un rôle institué, que l’un ou l’autre d’entre nous occupera entant que tel. Et pendant que certains dégoisent sur les méfaits de « l’assistanat » (notion fourre-tout qui sert surtout à culpabiliser les plus pauvres), d’autres meurent dans la rue.
si on regarde en arrière, on a eu cette misère à toutes les époques
des gueux à la cour des miracles aux misérables… mais aujourd’hui la peur d’attraper cette « maladie » est réelle là où avant « on » pouvait se mentir que cela n’arrivait qu’aux paresseux, alcoolos ou branleurs.
C’est vrai! Il suffit de plonger son nez dans un livre d’histoire pour voir à quel point la détresse sociale est une constante. Je ne dirai jamais : « c’était mieux avant ». mais je pense aussi qu’il revient à chaque époque, chaque génération, de tolérer la misère ou pas…
Moi j ai mon “pote” SDF tous les matins quand j’arrive à Bercy : tous les matins je lui offre une cigarette. Il m’accueille tous les jours avec un “ah, voilà la demoiselle d’Amiens”. Il n’a plus de gants, je vais lui en acheter une paire pour Noël, un paquet de cigarillos (il aime bien) et lui donner aussi un petit billet. Tous les mois ou presque, lui il m’offre un briquet, un bouquin, une boîte pour mes cigarettes, un porte clé … à chaque fois il me dit que c’est pour me remercier de ma gentillesse , là pour Noël, il veut absolument me trouver une jolie boîte pour mes cigarettes … je comprends tout à fait ton billet .
c’est un pas important, essentiel… cesser de croire que parce qu on ne peut TOUT changer on ne peut rien faire
Chacun à son échelle peut changer les choses
chaque petit bonheur qu on transmet et qui est transmis à nouveau, cette chaine invisible d’un humain à l’autre…
continue Lénou
c’est ce cigarillo ou ces gants qui lui permettent de se souvenir qu’il n’est pas invisible aux coeurs des autres
pas de tous, je ne pratique pas l’angélisme mais ce « peu » est le début de « beaucoup »
Excellent papier Pooky!!! sur une triste réalité … qui ne fait que commencer, si j’ose dire. Au XIXème siècle, une ville comme Londres était « encombrée » de mendiants. Et au milieu de toute cette misère circulait les « autres », ceux qui avaient de quoi vivre. Et peu nombreux étaient ces gens à s’intéresser à ces mendiants. Allons-nous vers cela ? Les mentalités évoluant dangereusement avec la crise, on peut le craindre.
on va vers pire que ça à mon humble avis